Les mineurs de bitcoin se préparent à quitter la Chine
Le pays a décidé de s’attaquer au minage, procédé complexe par lequel les transactions en bitcoins sont sécurisées, afin de lutter contre la pollution et les risques financiers qu’il génère.
Par Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)
Publié aujourd’hui à 11h00
Jiang Zhuoer accuse le coup : son entreprise, BTC.TOP, l’un des grands mineurs de bitcoin en Chine, va devoir déménager l’essentiel de ses activités hors du pays. Une vingtaine de sites, des centaines d’employés et des centaines de milliers de boîtiers électroniques à désinstaller, empaqueter et envoyer vers des contrées plus clémentes. « On regarde vers le Kazakhstan, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique du Nord », note M. Jiang, 36 ans. « Nous avons toujours des mines en Chine : la semaine dernière, tous les sites du Xinjiang ont été fermés, mais ailleurs les réglementations ne sont pas toujours appliquées immédiatement. En l’état actuel, nous minerons [processus consistant à résoudre des équations de plus en plus complexes pour valider les transactions en bitcoins] aussi longtemps que possible, et quand on ne pourra plus, comme en Mongolie-Intérieure ou au Xinjiang, on déménagera à l’étranger », explique-t-il.
La Chine n’est plus l’eldorado du bitcoin. Les entreprises nationales sont prêtes à déménager vers les Etats-Unis ou le Canada – même si les coûts y sont jusqu’à trois fois plus élevés –, car ils jouissent de la stabilité politique. Depuis la mi-mai, le bitcoin est pris sous un double feu dans l’empire du Milieu. Après une nouvelle envolée des cours, début 2021, le régulateur s’est inquiété des risques financiers. Le 18 mai, trois fédérations bancaires ont publié un communiqué commun, rappelant que les cryptomonnaies « [n’étaient] pas de vraies devises », mettant en garde contre « la spéculation » et appelant les établissements financiers chinois à ne pas accepter les cryptomonnaies comme moyen de paiement. Un rappel de règles déjà en vigueur depuis des années. Le vice-premier ministre, Liu He, le plus proche conseiller économique du président Xi Jinping, ajoute qu’il est temps de « combattre le minage et l’échange de bitcoin », afin d’éviter « la transmission des risques individuels à la société ».
C’est la consommation d’électricité démesurée du minage de bitcoin qui lui vaut aussi les foudres du pouvoir. La Mongolie-Intérieure, à qui Pékin a lancé un coup de semonce pour avoir échoué à atteindre ses objectifs de réduction d’intensité carbone, avait commencé à cibler l’industrie des cryptomonnaies dès février. Elle a donné un nouveau tour de vis le 26 mai. Les autorités ont même mis en place une ligne téléphonique incitant les habitants à dénoncer des activités de minage illégales. Depuis, plus d’un millier de personnes à travers la Chine ont été arrêtées pour des crimes d’extorsion en ligne impliquant du blanchiment d’argent grâce aux cryptomonnaies, a indiqué le ministère de la sécurité publique, le 9 juin.
Le minage suppose de recourir à des cartes graphiques puissantes 24 heures sur 24. Au total, le fonctionnement du seul bitcoin consommerait actuellement 115 térawatts-heure, soit plus que la consommation annuelle d’énergie des Pays-Bas. En Chine, l’essentiel de l’électricité servant à faire tourner les serveurs des sites de minage vient du charbon. Les vastes provinces de l’Ouest, peu habitées et riches en ressources naturelles, fournissent un terrain d’accueil a priori parfait : le foncier et l’électricité y sont particulièrement bon marché. Début 2021, le pays assurait environ 70 % du minage de bitcoins, d’après l’université de Cambridge.
Sur Internet, toutes les références aux plates-formes d’échange de bitcoins comme Huobi, Binance ou OKEx sont censurées
Début juin, les restrictions se sont enchaînées : la province du Qinghai, elle aussi rappelée à l’ordre pour ses émissions de dioxyde de carbone, s’est empressée d’interdire cette pratique. Le 9 juin, le Xinjiang, qui assurait 36 % du minage total de bitcoin, a ordonné aux mineurs de mettre fin à leurs activités. Seul le Sichuan, où l’électricité provient des surplus de centrales hydrauliques, va continuer à les tolérer jusqu’à la fin de la saison humide, à l’automne. Sur Internet, toutes les références aux plates-formes d’échange de bitcoins comme Huobi, Binance ou OKEx sont censurées.
« Il y a trois raisons majeures à cette campagne. D’abord, la volonté de stabiliser les marchés, ensuite, la lutte contre le blanchiment d’argent, et, enfin, l’objectif de neutralité carbone, explique Winston Ma, professeur associé à l’école de droit de l’université de New York. C’est la première fois que la Chine s’attaque au minage de cryptos, ce qui indique une détermination à s’attaquer au secteur à la racine, dans la mesure où la Chine est le pays qui mine le plus de cryptomonnaies au monde », conclut cet expert.